Chronique 81: L'ordre du jour d'Eric Vuillard

2017 - Actes Sud - 94 pages 

La quatrième couverture : Ils étaient vingt-quatre, près des arbres morts de la rive, vingt-quatre pardessus noirs, marron ou cognac, vingt-quatre paires d'épaules rembourrées de laine, vingt-quatre costumes trois pièces, et le même nombre de pantalons à pinces avec un large ourlet. Les ombres pénétrèrent le grand vestibule du palais du président de l'Assemblée ; mais bientôt, il n'y aura plus d'Assemblée, il n'y aura plus de président, et, dans quelques années, il n'y aura même plus de Parlement, seulement un amas de décombres fumants.


Mon avis : Chaque année j'ai un petit rituel : lire le prix Goncourt. J'avoue que je suis un peu perdue dans la rentrée littéraire. Souvent, j'attends ce prix car depuis plusieurs années je n'ai pas été déçue. 

Dans L'Ordre du jour, Eric Vuillard nous emmène dans la réunion du 20 février 1933, les plus grands patrons de l'Allemagne sont réunis par Goering et rencontre Hitler. D'autres réunions vont suivre, d'autres événements, qui vont mener d'abord à l'Anschluss puis à la Seconde Guerre Mondiale. Vuillard va aussi nous raconter comment réagissent les "Alliés" face à la montée de l'Allemagne nazie, face au redressement d'une nation qui revient de très loin. Il nous parle de la peur, de l'impuissance des premiers ministres britannique et français. 

"A cet instant, sous l'horloge, dans le box des accusés, le temps s'arrête ; il se passe quelque chose. Toute la salle se tourne vers eux. Comme Kessel, envoyé spécial de France-soir au tribunal de Nuremberg, le raconte, en entendant ce mot "merveilleux !" (de Ribbentrop), Goering se mit à rire. Au souvenir de cette exclamation surjouée, sentant peut-être combien cette réplique de théâtre était aux antipodes de la grande Histoire, de sa décence, de l'idée que l'on se fait des grands événements, Goering regarda Ribbentrop et se mit à rire. Et Ribbentrop, à son tour, fut secoué d'un rire nerveux. Face au tribunal international, devant leurs juges, devant les journalistes du monde entier, ils ne purent se retenir de rire, au milieu des ruines." 

L'auteur nous dresse un décor très détaillé, il ne laisse rien dans l'ombre, il ne veut pas seulement que nous nous représentions la pièce dans laquelle ces scènes se jouent, il veut que l'on y soit. Car pour lui c'est un peu du théâtre, tout le monde a un rôle à jouer et tout le monde le joue, plus ou moins bien. 

L'écriture de l'auteur m'a particulièrement plu. Ses phrases sont à la fois bien tournées, poétiques et parfois un peu crues, j'aime beaucoup ce mélange. On sent qu'il ne peut plus se contenir et que ce qu'il écrit le dégoutte. 

"Le soleil est un astre froid. Son cœur, des épines de glace. Sa lumière, sans pardon. En février, les arbres sont morts, la rivière pétrifiée, comme si la source ne vomissait plus d'eau et que la mer ne pouvait en avaler davantage. Le temps se fige."

Je trouve ce livre original, il ne nous parle pas de la Seconde Guerre Mondiale, il nous parle de l'avant, de ce qui l'a précédée:  les abominations nazis qui commencent bien avant le 1 septembre 1939, des "honnêtes" personnes qui y ont été mêlées, de l'impuissance et de la passivité de nos chefs d'Etats. 

J'ai aussi beaucoup apprécié les référence au temps et à l'histoire que fait Eric Vuillard. Il en parle beaucoup et c'est comme si, il nous faisait ouvrir des portes de l'histoire et que le temps restait en suspend, se figeait pour que l'on puisse assister au spectacle. 

"Les dates les plus joyeuses chevauchent ainsi les rendez-vous les plus sinistres de l'Histoire."

"A toute vitesse, dans le plus grand désarroi, il fouille les poches des siècles. Mais sa mémoire est vide, le monde est vide, l'Autriche est vide."


"Si on soulève les haillons hideux de l'Histoire, on trouve cela: la hiérarchie contre l'égalité et l'ordre contre la liberté."

Pour conclure, c'est un très bon livre que je recommande ! Il est bien écrit et intéressant, de plus il est très court et donc il n'y aucune longueur. J'ai passé de bons moments de lecture. 


Ma note : 15/20

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